Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT) : Les Fluoroquinolones doivent être évitées en pratique courante.

Le 10 janvier 2023 l’ANSM a actualisé son dossier sur les fluoroquinolones et réitère la recommandation de ne réserver ces antibiotiques qu’aux infections bactériennes pour lesquelles l’utilisation d’une fluoroquinolone est indispensable faute d’alternative avec un autre antibiotique.1 Page source


Les fluoroquinolones sont susceptibles de provoquer des effets indésirables graves invalidants, durables et irréversibles : troubles musculo-squelettiques (tendinopathie), troubles cardio-vasculaires (troubles du rythme cardiaque, anévrisme et dissection aortique, atteinte des valves cardiaques), neuropathies périphériques, troubles neuropsychiatriques. Ces effets sont plus fréquents et/ou plus sévères chez les personnes âgées ou souffrant d’une insuffisance rénale mais peuvent survenir même chez des sujets jeunes.

Ces effets indésirables, qui peuvent se révéler dès les premières heures du traitement, surviennent habituellement après plusieurs jours de traitement, et parfois jusqu’à plusieurs mois après l’arrêt du traitement. Les patients doivent être avertis dès la prescription et lors de la dispensation de la nécessité de consulter rapidement leur médecin dès l’apparition de symptômes tels que dyspnée, douleurs musculaires ou tendineuses, atteinte nerveuse, trouble de la vue, photosensibilisation voire d’appeler le 15, ou de se rendre immédiatement dans un service d’urgence, devant des douleurs abdominales, thoraciques ou dorsales soudaines et intenses en signalant la prise de ces médicaments dans les semaines ou mois précédents
La consommation de ces antibiotiques diminue depuis 2014 et après les restrictions de prescription émises en 2018 par l’ANSM, leur consommation a encore  été réduite de près de moitié (données  de remboursement CNAM). Cependant,  les fluoroquinolones restent encore trop largement prescrites et de manière non justifiée comme en atteste une estimation récente de 3 fois plus de prescriptions hors recommandations que de prescription dans les recommandations.2 Les prescriptions hors recommandations sont essentiellement dans les otites, bronchites et infections urinaires.
Par ailleurs, ces antibiotiques sont dits à “large spectre” car ils vont être actifs sur de nombreux types de bactéries, avec pour conséquence l’apparition de résistance aux antibiotiques (antibiorésistance). C’est une des raisons supplémentaires de réserver les fluoroquinolones uniquement aux infections sévères.

L’avis de la  SFPT

Devant les risques d’effets indésirables graves avec séquelles et leur fréquence, le rapport bénéfices / risques des fluoroquinolones est défavorable dans la pratique courante en ville. Sauf exception, elles ne doivent plus être prescrites en première intention notamment dans les otites, bronchites et infections urinaires simples. Elles gardent leur place en l’absence d’alternative antibiotique dûment justifiée, dans de rares infections bactériennes notamment en milieu hospitalier. Pour toute question ou signalement d’effet indésirable vous pouvez contacter votre Centre Régional de Pharmacovigilance.

Pour approfondir :

Les fluoroquinolones sont une classe pharmacologique d’antibiotiques commercialisés en France depuis le milieu des années 80’s. Actuellement les représentants de cette classe sont :

  • Ciprofloxacine (Ciflox®, Uniflox® et génériques)
  • Lévofloxaxine (Tavanic® et génériques)
  • Ofloxacine (Oflocet®, Monoflocet®, génériques)
  • Norfloxacine (génériques)
  • Moxifloxacine (Izilox® et génériques)
  • Loméfloxacine (Décalogiflox® et Logiflox®)
  • Delafloxacine (Quofenix®)


Ce sont des antibiotiques bactéricides rapides, concentration-dépendants, à spectre antibactérien large. Ces molécules présentent une très bonne biodisponibilité par voie orale avec une distribution très large et sont efficaces dans de nombreux types d’infections. Cependant, en raison d’une utilisation importante par le passé, ces antibiotiques ont été à l’origine de l’émergence de souches bactériennes résistantes (antibiorésistance). De plus, ces antibiotiques sont à l’origine de différents types d’effets indésirables graves et parfois durables. Pour ces deux raisons, les indications de ces antibiotiques ont été fortement restreintes par les autorités sanitaires et leur balance bénéfice/risques a été évaluée comme défavorable dans de nombreuses situations.
Ainsi, les fluoroquinolones sont indiquées dans le traitement de plusieurs types d’infections bactériennes pouvant, pour certaines d’entre elles, engager le pronostic vital. Ces antibiotiques doivent être réservés à certaines infections bactériennes pour lesquelles l’utilisation d’une fluoroquinolone est indispensable et doivent être évités dans des situations où d’autres antibiotiques peuvent être utilisés.
En accord avec les recommandations de l’ANSM, ces antibiotiques ne doivent pas être prescrits :

  • dans les infections non sévères ou spontanément résolutives ;
  • en prévention dans la diarrhée du voyageur ou les infections récidivantes des voies urinaires basses ;
  • dans des infections non bactériennes, comme la prostatite (chronique) non bactérienne ;
  • dans des infections de sévérité légère à modérée (cystite non compliquée, bronchites dont exacerbation aiguë de BPCO, rhino-sinusite et otite moyenne aiguë), sauf exception ;
  • à des patients ayant déjà présenté des effets indésirables graves avec un antibiotique de la même famille.

Ces restrictions sont en vigueur depuis 2019. Elles résultent de la réévaluation des effets indésirables potentiellement graves des fluoroquinolones menée au niveau européen.
Selon les recommandations actuelles de la HAS, une des seules exceptions pour la prescription d’une fluoroquinolone en antibiothérapie probabiliste dans l’attente de l’antibiogramme reste à ce jour la pyélonéphrite aiguë et en l’absence de traitement par fluoroquinolone dans les 6 mois précédents.3 Les fluoroquinolones sont également indiquées en probabiliste dans la prostatite, au même titre que d’autres antibiotiques (céphalosporines de

3ème génération par voie injectable), qui devraient donc être privilégiés lorsque cela est possible, notamment chez le sujet âgé.

Effets indésirables

 

Les fluoroquinolones sont des médicaments ayant une distribution importante dans de nombreux tissus. Cet avantage, qui permet une efficacité dans de nombreuses infections  y compris ostéo-articulaires, est également à l’origine de la plupart des effets indésirables de ces médicaments. En effet, les fluoroquinolones diffusent et se fixent au niveau de la matrice de collagène de nombreux tissus (tendons, vaisseaux) entraînant une toxicité avec une diminution de la prolifération de certaines cellules, les fibroblastes, associée à une majoration de la synthèse de métalloprotéinases extracellulaires et ainsi des changements de conformation du tissu probablement à l’origine de tendinopathie ou d’atteinte cardio-vasculaire (anévrisme aortique, valvulopathie). Enfin, les fluoroquinolones ont également un tropisme cardiaque et le blocage de canaux ioniques au niveau des cardiomyocytes entraîne des troubles du rythme cardiaque dans certaines conditions. Finalement, les fluoroquinolones ont également une diffusion au niveau du système nerveux central à l’origine de troubles neuro-psychiatriques.

Tendinopathies

Les fluoroquinolones sont associées à un risque deux à quatre fois plus élevé de tendinopathie aiguë (définie par une douleur ou une fonction réduite sans rupture) et de rupture du tendon par rapport à la population générale.4 L’incidence de cet effet indésirable peut atteindre 2 % chez les patients âgés de 65 ans et plus, alors que le taux de rupture du tendon est d’environ 0,9 % dans la population générale.5,6 Les facteurs de risque identifiés sont l’âge (sujet âgé) et la prise concomitante de glucocorticoïdes.
L’apparition de la tendinopathie est précoce, dès les premiers jours de traitement et notamment durant le premier mois suivant l’exposition au médicament. Le tendon d’Achille est le plus souvent affecté, la douleur sévère et soudaine étant une présentation clinique caractéristique. L’arrêt rapide du médicament est recommandé. La majorité des patients (90 %) sont pris en charge de manière non chirurgicale, avec une régression des symptômes dans le mois suivant habituellement.4 Il peut dans certains cas y avoir des séquelles à long terme chez près de 10 % des patients.

Anévrisme et dissection aortique

Une récente étude française a montré un risque accru d’anévrisme ou de dissection aortique (risque est augmenté  de 2,4, intervalle de confiance à 95% de 1,3 à 4,6) dans les 30 jours suivant l’exposition à une fluoroquinolone, par rapport à l’exposition à une autre antibiotique de référence (amoxicilline).7 Même si des facteurs confondants résiduels sont présents dans les études observationnelles, des résultats similaires ont été retrouvés dans une méta-analyse avec la survenue d’une dissection aortique estimée chez un sur 1301 patients traités.8 Les facteurs prédisposant à la survenue d’un anévrisme et d’une dissection aortique comprennent les antécédents familiaux d’anévrisme, la préexistence d’un anévrisme ou d’une dissection aortique, le syndrome de Marfan, le syndrome vasculaire d’Ehlers-Danlos, l’artérite de Takayasu, l’artérite à cellules géantes (ou maladie de Horton), la maladie de Behçet, l’hypertension artérielle et l’athérosclérose. Ce risque grave et associé à une forte mortalité concerne toutes les fluoroquinolones et a été communiqué en 2018 par l’EMA et l’ANSM.9

Troubles du rythme cardiaque

Les fluoroquinolones, notamment la moxifloxacine, entraînent des troubles de la repolarisation cardiaque avec un allongement de l’espace QT sur l’ECG et un risque de torsade de pointes. Le risque est très faible (estimé à 1,6 cas d’arythmie grave pour 10.000 patients exposés) mais grave et possiblement létal.10,11 Les facteurs favorisant sont l’hypokaliémie, l’hypomagnésémie et l’association à d’autres médicaments torsadogènes.
Neuropathie périphérique
Des études observationnelles suggèrent que les fluoroquinolones augmentent le risque de neuropathie périphérique et de syndrome du canal carpien par comparaison à d’autres antibiotiques de référence.12–14 Cependant, la survenue d’une neuropathie chez les patients exposés aux fluoroquinolones reste rare, avec une augmentation du risque absolu dans une grande étude de base de données de seulement 0,02 % par an chez tous les patients, et de 0,04 % par an chez ceux âgés de 60 ans ou plus.12 Les facteurs de risque de neuropathie associée aux fluoroquinolones comprennent l’obésité, ainsi que d’autres causes connues de neuropathie (amylose, alcoolisme…).

Troubles neuro-psychiatriques

Les fluoroquinolones sont associées à la survenue d’anxiété, euphorie, confusion, cauchemars, dépression, et plus rarement de convulsions. Ces effets sont transitoires avec une évolution favorable à l’arrêt du médicament. Ils sont plus fréquents chez les sujets âgés.